Psaume 61
(En vue de la fin. Pour Idithum. Psaume de David)
(Mon âme ne se soumettra-t-elle pas à Dieu ? Car c’est de Lui que vient mon salut), v. 2
et la suite.
1. La parole de la prophétie n’est pas écrite autrement que pour faire progresser de quelque manière les auditeurs, de telle sorte que le psaume, ou bien porte à l’enseignement de la science véritable, ou bien affermit l’innocence de l’intention, afin qu’en réalité ce psaume soit chanté par David à Idithum, que celui-ci soit par là-même instruit plus avant dans la crainte de Dieu, dans le support patient et constant des nuisances humaines et spirituelles, qu’il soit affermi contre les méprisantes entreprises - car la cupidité est la racine de tous les maux. C’est en effet dans la crainte de Dieu et dans la patience à supporter les épreuves qu’est assurée la bonne disposition pour accéder à la vie éternelle et bienheureuse, pourvu que soit effective la piété envers Dieu, la patience dans l’adversité et le mépris de la richesse. C’est pourquoi le psaume commence par une confession relativement à Dieu.
2. Mon âme ne se soumettra-t-elle pas à Dieu ? C’est de Lui, en effet, que vient mon salut. C’est Lui mon Dieu et mon Sauveur ; Il est mon Défenseur ; je ne serai jamais plus ébranlé (vv. 2-3).
La confession de Dieu, commune à la disposition naturelle des hommes, est ainsi introduite par le Prophète dès le début du psaume, afin qu’il dise (ce verset motivé par une succession de faits) : lorsque, après une longue nuit d’ignorance, après la doctrine incertaine et flottante des discours humains, après les vaines idées préconçues des diverses religions - tandis que, depuis longtemps, l’erreur et le questionnement sur Dieu existent -, questionnement du type ’est-il un ou plusieurs ; son sexe est-il d’une seule manière ou est-il séparé en deux, de puissances égales ou disparates ; est-il d’un âge uniforme ou qui varie dans le temps ; sa nature est-elle incréée (innascibilis) par rapport à tous les êtres, ou bien, en un certain temps, n’a-t-elle pas été engendrée à partir de quelques autres êtres déjà créés, et alors ensuite, avec quelques autres créatures, n’a-t-il pas combattu au cours d’un long moment de l’histoire et par un très long labeur ; ou bien, les êtres créés ne lui sont-ils d’aucune valeur, ou encore ne prend-il aucun intérêt pour la vie humaine ?’… Mais alors, à partir du plus grand nombre des créatures, il convient de délibérer pour savoir si le soleil ou les autres étoiles sont des dieux, si le monde lui-même, dans la forme de son éternité et se maintenant dans l’existence malgré toutes les variations qui sont les siennes et qui procèdent de lui, n’est pas un dieu ; d’où le fait que la plupart des hommes ont attribué au feu, aux eaux, à l’esprit, un nom divin en l’honneur de chacun ; d’autres créatures aussi, le bois, les pierres, les métaux, sous la forme d’hommes, de chenilles ou de bêtes sauvages, ont été adorées par les hommes ; enfin, alors que la recherche d’intelligibilité est en décadence et les efforts qui y conduisent presque abandonnés, beaucoup d’hommes, et des plus réputés pour leur prudence, enseignent une seule chose, à savoir qu’ils n’enseignent rien de ce que l’homme devrait savoir. Alors, après le constat de cette ignorance et de la prise de conscience de la nécessité de la confession, un homme sage, prudent et converti, s’est tourné vers les Prophètes et les Apôtres pour s’emparer de toute la Loi de Dieu placée sous le mystère (sacramentum) de l’éternelle économie (dispensatio), en laquelle il aura conduit sa réflexion, à travers cette Loi totalement divine, sur le principe rationnel de l’âme descendu dans ce corps humain qui lui est associée. Par elle, il aura accueilli la répartition des Gentils selon les nombres des anges (cf. Dt 32, 8) ; par elle, il aura entendu ce qu’est le principe ou commencement du monde, et l’élection du peuple unique ; en elle, il n’aura pas ignoré quel est l’auteur de la mort humaine ; il aura expérimenté qu’habite en sa chair de péché une loi qui lutte contre la loi de l’esprit, et il l’aura déploré en gémissant ; après cela, il aura connu que l’Esprit de Dieu, la Puissance de Dieu, la Sagesse de Dieu, le Fils de Dieu Unique Engendré est né homme pour la rémission des péchés et la condamnation de la loi du péché, lui qui, étant passé par la condition humaine des passions, est mort pour condamner en lui les contempteurs impies des subtilités célestes, afin d’apporter à tous l’éternité, lui qui nous fait mourir à la loi du péché en venant demeurer dans notre chair. Alors, ayant accueilli le sacrement de la piété (cf. 1 Tim 3, 16), établi, après cette nuit de l’ignorance, dans la lumière de science, qu’il dise donc : « Mon âme ne se soumettrait-elle pas à Dieu ? car c’est de Lui que vient mon salut ; c’est Lui qui est mon Dieu et mon Sauveur. Il est mon Défenseur ; je ne serai jamais plus ébranlé » (vv. 2-3).
C’est pourquoi, ayant trouvé le fondement de la foi, après le discours de l’impiété et ses erreurs vagabondes, et pour avoir connu son Défenseur et son Sauveur, elle sait (cette âme) qu’elle ne sera plus jamais ébranlée. Que reste-t-il en effet à dépasser au-delà de l’ignorance et de l’anxiété des hommes, lorsque l’éternité de l’âme et du corps est révélée - à savoir ce qui est annoncé par avance de tout l’homme, l’assomption et l’accueil par Dieu de notre chair terrestre en référence au grand sacrement de la piété -, lorsque la rémission des péchés est garantie - la loi du péché étant condamnée -, lorsque, à notre humanité (litt. : « à notre homme ») est offert de s’asseoir à la droite de Dieu dans les cieux ?
3. Mais les entreprises des impiétés païennes ont ruiné l’espérance de cette béatitude, niant fortement, sous la pression du mensonge de la prudence du siècle, le progrès de l’homme vers Dieu et détruisant la participation à Dieu du corps assumé, se faisant ainsi les prétentieux arbitres de la puissance divine, comme s’il était plus difficile à Dieu d’avoir assumé l’homme que de l’avoir formé dans une telle disposition de nature et de vie. C’est pourquoi, sans tarder, le Prophète met en lumière cet impie dénigrement qui est leur : Jusques à quand vous jetterez-vous tous ensemble contre un homme, pour l’abattre comme une muraille qui penche et une clôture qui croule ? (v. 4) .En effet, ces ignorants et ces vertueux discoureurs impies abattent l’homme qui se trouve sur la pente des vices et déjà le submergent ; affaibli, sur le point de choir, ils le font périr par leurs conseils mêlés d’exhortations fallacieuses et funestes, comme si la volonté elle-même, faible conciliatrice des vices à son endroit devant le désespoir suscité par la perspective du jugement éternel et de la rétribution, était encouragée à ne faire usage que des seules réalités présentes et corporelles.
4. Mais cette « muraille » de son corps qu’auparavant la tyrannie, l’ivresse, la voracité, la colère avaient transpercée de part en part, maintenant, elle n’ignore pas qu’en elle-même, dans la Maison de Dieu, elle est jointe aux pierres vivantes, et qu’elle restaure sa création à l’image de Dieu ; et, assurée qu’elle est d’apparaître pour la conformité de gloire avec son Dieu, elle ajoute : Oui, ils ont comploté pour ruiner mon honneur ; j’ai couru assoiffée (v. 5). Pour ceux-ci, une seule pensée : détruire son honneur ; mais pour elle, elle a couru et court assoiffée. C’est qu’en effet il y a une soif des biens éternels et une soif de pauvreté d’esprit dans les saints dont il est dit : Heureux ceux qui ont faim et soif de justice (Mt 5, 6). Ainsi, la course de la justice la tient assoiffée, conservant, relativement à cette détraction des contradicteurs dont elle est l’objet, une plénitude de vie sans altération. Car elle a appris de son Seigneur que toutes ses œuvres seraient louées à l’appréciation même du témoignage païen, lorsqu’il est dit : Ainsi, que vos œuvres brillent devant les hommes pour qu’ils magnifient votre Père qui est aux cieux (Mt 5, 16). Et c’est ce que fit Paul, voulant plaire en toutes choses à tous, afin de ne pas donner scandale ni aux juifs, ni aux grecs, ni à l’Église, de peur que son adversaire ne trouvât à mal parler de lui (cf. 1 Co 10, 33) ; à la vérité, pour celui-ci, se maintenant fidèlement dans le devoir de s’opposer et la volonté d’y atteindre, bien qu’il se portât fort librement à toute occasion de réfutation, nous reconnaissons dans ce saint celui qui court assoiffé.
En effet, on trouve ensuite : De leur bouche ils bénissaient, et de leur cœur ils maudissaient (v. 5b) ; cela lorsque conservant le respect de l’honneur dû à l’adversaire, ils bénissaient par la reconnaissance confessée d’une vie digne d’approbation, et ils maudissaient sous l’effet de la malignité d’une haine viscérale.
5. Mais ce qu’est pour lui au plus haut point le salut, le saint que voici (le psalmiste)
- le changement de personne étant indiqué par le diaspsalma -, redouble sa confession (de foi), démontrant ainsi que notre persévérance dans une inlassable confession est nécessaire. Fait suite en effet : Oui, soumets-toi à Dieu, ô mon âme, car de Lui me vient la patience. Car Il est lui-même mon Dieu et mon Sauveur ; Il est mon Défenseur, je ne m’écarterai pas de Lui. En Dieu est mon salut et ma gloire ; Dieu est mon secours ; mon espérance est en mon Dieu (vv. 6-8).
En vérité, ces hommes-là s’en prennent à la muraille qui branle et à la clôture qui commence à crouler (v. 4b), et, tout en bénissant de bouche, ils maudissent de cœur ; mais il sait, lui (l’homme ébranlé), qu’il est opportun de jeter son âme en Dieu, car de Lui vient le support patient de l’épreuve. Il a appris en effet de Lui, à ne pas détourner sa face des crachats, ni à soustraire ses joues aux soufflets, à ne pas refuser d’un signe de boire le vinaigre [1], mêlé de fiel, ni à médire des coups de poings et de fouets. Dieu Lui-même est son Dieu et son Sauveur ; Il est Lui-même aussi son Défenseur, pour que ne s’éloigne pas de lui le mouvement de son âme qui le porte à la persévérance dans la patience et à la confiance dans l’espérance. En Lui se trouve en effet son salut, sa gloire, et son espérance ; en Lui qui, rappelé à la vie avec lui et pour lui, le rendra conforme à sa gloire céleste.
6. Et parce que, de cette espérance il est en lui-même pour les autres le prédicateur en tant que Prophète, il ajoute : Espérez en Lui vous tous le rassemblement du peuple, répandez vos cœurs devant Lui, car Dieu est notre secours (v. 9). Rien de caché, rien de rendu inaccessible, rien de contraignant, en restant sous la confession de Dieu, qu’il ne faille retenir dans son cœur. Tout sentiment doit être répandu devant Lui, afin que rien ne subsiste d’une confiance placée en nous-mêmes ; mais que, à travers Lui, avant même que nous nous répandions devant Lui à cause de notre péché, nous soyons secourus. Cependant, il nous faut répandre devant Lui nos cœurs avec larmes et pleurs, selon ce qui est dit : Mes larmes ont été mon pain jour et nuit, tandis qu’on me disait chaque jour : ’Où est-il ton Dieu ? ’Alors je me suis souvenu et j’ai laissé mon âme se répandre en moi (Ps 41, 4-5). C’est là la démonstration de l’effusion de l’âme dans d’abondantes larmes, car c’est par ces larmes-là qu’il faut supplier Celui qui est notre seul fidèle soutien.
7. Mais la racine des iniquités se trouve surtout dans le désir cupide de la richesse qui submerge celui qui en nourrit le désir dans le désastre causé par un très puissant ouragan. Fait suite en effet : Ne mettez pas votre espérance dans l’iniquité, et ne désirez pas avidement les prises de butin. Si les richesses affluent, n’y laissez pas votre cœur s’y attacher (v. 11).
Grandes en effet sont par eux (richesses et butin) les séductions du désir et de l’amour : ils entraînent de force l’intelligence et empoignent les esprits hésitants. C’est pourquoi, non seulement il ne faut pas convoiter leurs rapines - même si elles sont offertes et coulent à flot -, mais encore sous leur emprise notre volonté rétrograde de peur que ce qui est désiré et convoité ne soit par elle maîtrisé. En effet, rapines et richesses ne sont pas ces biens coéternels qui nourrissent notre espérance : ou bien ils descendent avec nous en enfer, ou bien ils resurgissent avec nous de l’enfer. La foi, la piété, la continence, la bonté, voilà ce qui doit être attendu, et, au plus haut point, la connaissance de Dieu doit être assidûment poursuivie. Du reste, ces vanités captieuses doivent être évitées puisque, par nature, elles conduisent à l’inexorable nécessité de tomber dans l’iniquité.
9. Et que cela nous porte à désirer l’espérance de l’éternité, le Prophète l’exprime en disant : Dieu a parlé une fois pour toutes ; j’ai entendu deux choses : que la puissance est à Dieu, et qu’à Toi, Seigneur, appartient la miséricorde, car Tu rends à chacun selon ses œuvres (v. 12).
Dieu ayant parlé une fois pour toutes, le psalmiste entend deux choses. Et il importe pour lui qu’elles soient connexes, elles qui sont connues sur l’indication d’une seule parole. Car, au début du psaume, il avait déjà rapporté à Dieu : « Mon âme ne se soumettra-t-elle pas à Dieu ? Car c’est de Lui que me vient le salut ».
C’est pourquoi la fureur colérique de l’impiété judaïque devait être complètement renversée, pour qu’en Dieu le Père soit signifié que le Fils était enseigné pour que maintenant, dans l’un, l’autre soit aussi montré. Il est témoigné que c’est cette même foi en effet qui fait que son âme (celle du psalmiste) se soumet à Dieu, parce que de Lui-même elle tire son salut. Et il est souvent fait mention de ce que Jésus est le salut. Une fois pour toutes, cependant, Dieu a parlé, et deux paroles ont été distinguées et entendues, comme celle-ci : « Père, j’ai manifesté ton Nom aux hommes ». Cette parole fait connaître le Fils qui est dans le Père, afin que maintenant, Dieu ayant parlé une seule fois, le psalmiste entende deux choses : Que la puissance est de Dieu, et qu’à Toi, Seigneur, appartient la miséricorde, car Tu rends à chacun selon ses œuvres (v. 12). Paul connaît dans l’un, l’un et l’autre : l’un - confessé au neutre, sans rapport d’altérité -, lorsqu’il dit : Dieu est unique, et il y a un seul Seigneur (1 Co 8, 6), parce que le Seigneur est en Dieu, et Dieu est signifié dans le terme Seigneur. C’est pourquoi, une fois pour toutes Dieu a parlé, et deux choses ont été entendues : que la puissance est à Dieu, et, à Toi, Seigneur, la miséricorde (v. 12c). De Lui-même, en effet, vient le salut, et le Fils reçoit tout du Père. Pour cette raison, en Lui, ou bien la puissance de Dieu est reçue, ou bien elle est née. Le Père en effet ne juge personne ; il a remis tout le jugement à son Fils (cf. Jn 5, 22). Donc, le Rémunérateur de chacun est celui-là même qui est Juge. Mais sa puissance vient du fait que le Dieu Unique Engendré est né comme Juge ; et sa puissance lui vient de Dieu, lui qui reçoit le jugement du Père. Ainsi, ni la puissance ne manque à Celui qui est Juge, ni la miséricorde, puisqu’il est Dieu. Certes, il est nécessaire que le responsable d’un jugement éternel demeurât dans l’Un, ne dévoilant pas l’un et l’autre - alors qu’il ne faut pourtant pas le comprendre comme étant un seul -, lui qui témoigne de l’existence de l’un et de l’autre lorsqu’il dit : Le Père en moi et moi dans le Père (Jn 10, 38) ; lui notre Seigneur Jésus-Christ, qui est béni dans les siècles des siècles. Amen.