Nous sommes aux alentours des années 380. À cette époque, la célébration de la fête de Pâques connaît des évolutions significatives. De fait, jusqu’au milieu du quatrième siècle, les chrétiens fêtaient la victoire pascale durant toute une semaine, sans distinguer la célébration de la Résurrection proprement dite, de celles de l’Ascension et de la Pentecôte. S’instaure alors progressivement un cycle liturgique qui différencie la résurrection du Seigneur, sa montée auprès du Père et l’envoi de l’Esprit Saint. Ces distinctions permettent d’aborder le thème de la joie pascale sous des angles différents, en fonction de la grâce propre à chaque fête.
Dans ses homélies, Grégoire de Nysse déploie sa méditation sur la joie pascale le plus souvent à partir d’un verset du psaume qui a été chanté au cours de la liturgie car le psautier tout entier est louange à Dieu, action de grâce, et donc source de joie, même s’il comporte aussi des supplications et des demandes de pardon.
À l’occasion de la fête de Pâque, Grégoire médite le passage suivant : « louez le Seigneur, toutes les nations ; glorifiez-le, tous les peuples » (Ps 116, 1). Il invite ses auditeurs à la fête car le Créateur n’a pas abandonné sa créature pécheresse. Au contraire, il la recrée par la mort et la résurrection de Jésus, manifestant ainsi et sa toute-puissance créatrice et son amour de l’humanité. L’allégresse pascale résulte de la contemplation du Créateur qui ne s’arrête pas sur un échec et de l’extrême sollicitude du Sauveur : « De même que ceux qui voient quelqu’un de faible emporté par le torrent et qui, tout en sachant qu’ils risquent eux aussi d’être roulés dans la boue du torrent et blessés par les pierres charriées par le courant, n’hésitent pas à s’y précipiter par sympathie pour la personne en danger, de même aussi notre Sauveur, dans son amour des hommes, a supporté de son propre gré l’arrogance et le mépris, afin de sauver celui qui a été trompé et s’est ainsi perdu. »
Lors de la fête de l’Ascension, Grégoire propose aux chrétiens un parcours qui conduit à une joie toujours plus intense. Il compose son homélie en deux parties commentant respectivement les Psaumes 22 et 23. Il y définit le rapport entre ces deux psaumes comme un accroissement de joie. Le premier décrit la joie de l’initiation baptismale qui ouvre le croyant à la connaissance de Dieu. Le baptisé est comparé à une brebis conduite par le bon Pasteur vers les pâturages célestes. Le second appelle « l’âme à une joie plus grande et plus accomplie encore. » Dans une lecture chrétienne de ce pasume, cette joie magnifique s’épanouit en découvrant que le salut de Dieu n’est pas réservé au baptisé, mais ouvert à la création tout entière. L’ascension et l’allégresse spirituelles du chrétien consistent ainsi en une ouverture du cœur toujours plus grande, en une largesse de vue qui n’exclut absolument rien du salut.
Son homélie sur la Pentecôte manifeste puissamment la tendresse de Dieu à l’égard de l’humanité. Si le Seigneur de la création a pris soin de se révéler progressivement aux hommes, les détournant d’abord du polythéisme, leur révélant ensuite son Fils, leur donnant enfin l’Esprit Saint, « la nourriture parfaite de notre nature », c’est pour que le genre humain puisse s’accoutumer à la majesté, au grand amour de la divinité. Il précise que la fête de la Pentecôte célèbre la perfection du don de Dieu et c’est pourquoi il convient à l’assemblée chrétienne de ne pas rejeter l’Esprit Saint et de répondre avec empressement à l’invitation du prophète David : « Venez, crions de joie pour le Seigneur ! » (Ps 94).
L’Évangile est douce éducation à la joie. Celle qui y est promise est comme tramée par la croix, mémoire de ce que la joie véritable - celle que personne ne saurait ravir (Jn 16, 22) -, reste marquée par la traversée de l’épreuve. Cette joie résulte de la victoire de la croix. Elle est cette victoire, car elle n’est pas atteinte par la tristesse du péché.
La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la joie de l’homme, c’est de découvrir Dieu. Cette découverte passe nécessairement, mais pas uniquement, par la célébration du mystère de la foi.