’estime heureux ton dessein. C’est justice en effet de commencer cette lettre par des félicitations, parce que, pendant que tous sont bouche béante pour les vanités et emploient pour édifier des pierres dont ils n’ont pas à se réjouir, toi-même tu veux qu’on t’enseigne des paroles d’édification.
Certes le Dieu de l’univers est seul à ne pas recevoir d’enseignement, parce qu’il est son principe à lui-même et n’a pas d’autre avant lui. Mais tout le reste reçoit l’enseignement, parce que produit et créé. Les premiers ordres ont pour docteur la suréminente Trinité, les seconds apprennent des premiers, les troisièmes des seconds, et ainsi de suite par ordre jusqu’aux derniers. En effet les supérieurs en connaissance et en vertu instruisent dans la science les inférieurs. 2 Par conséquent ceux qui croient n’avoir pas besoin de docteurs ou qui n’obéissent pas à ceux qui les instruisent avec charité, sont malades d’ignorance, la mère de la superbe. Viennent en tête pour leur perte ceux qui à cause de la même passion ont été déchus du séjour céleste, les démons qui volent dans l’air après avoir fui leurs docteurs des cieux. C’est que les mots ou les syllabes ne sont pas l’enseignement, et quelquefois même appartiennent à ceux qui sont vils au possible.
Au contraire (l’enseignement), ce sont les actes de droiture du caractère, l’absence d’humeur chagrine, l’intrépidité, la bravoure, le calme, la franchise en tout, celle-là même qui engendre les discours comme une flamme de feu. 3 Car si cela n’était pas, le grand Docteur n’aurait pas dit à ses disciples : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29). Il ne style pas les apôtres au langage élégant, mais à la circonspection du caractère, ne chagrinant personne, excepté ceux qui haïssent le Verbe et qui haïssent des docteurs. En effet, il faut que l’âme qui s’exerce selon Dieu ou bien apprenne fidèlement ce qu’elle ne sait pas, ou bien enseigne clairement ce qu’elle sait. Mais si elle ne veut pas l’un des deux, le pouvant, elle est malade de folie. Car c’est un commencement d’apostasie que le dégoût de renseignement et l’inappétence de la parole, dont a toujours faim l’âme de celui qui aime Dieu. En conséquence, sois fort, sois en santé, sois courageux, et que Dieu te fasse la grâce d’atteindre à la science du Christ.
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Cette lettre de Palladius à Lausus, grand chambellan de l’empereur Théodose II (408-450), a pu accompagner, si elle est authentique, l’Histoire lausiaque que l’évêque Hélénopolis avait rédigée à la demande de son correspondant.
Palladius est le plus grand historien du monachisme égyptien. Il est né vers 363-364. Après une solide formation classique, il part à Alexandrie en 388 pour y découvrir la vie érémitique. Sa santé fragile l’empêche de mener la vie monastique comme il l’aurait souhaité. Celle-là le conduisit d’abord à découvrir la Nitrie et les Cellules où il passa neuf ans avec Macaire, puis avec Évagre le Pontique ; elle l’amena ensuite en Palestine. Vers 400, il fut ordonné évêque d’Hélénopolis en Bithynie. En 406, l’empereur Arcadius l’exila en Haute-Égypte. À son retour, en 412-413, il devint évêque d’Aspuna en Galatie. Il mourut avant 431.
Palladius a rédigé l’Histoire lausiaque vers 419-420.
Source :
Palladius, Histoire lausiaque, trad. A. Lucot, Picard, Paris 1912, p. 11-15.