
’amour est une dette qui ne s’efface pas : une fois payée, on en reste toujours débiteur. On a beau s’en acquitter, on la doit encore ; quand on l’a payée, on en est toujours redevable.
C’est quelque chose qu’on ne perd pas en la rendant, mais qui redouble en quelque sorte par cette restitution même, car pour payer de retour l’affection des autres, il faut en avoir également, ce qu’on ne peut faire qu’en possédant soi-même un même fond d’amour.
C’est un sentiment qui grandit au plus profond de l’homme, à mesure qu’il le manifeste, et qui devient d’autant plus grand, que davantage de personnes en sont l’objet. Or, comment pourrait-on ne pas avoir d’amour pour ses amis, alors qu’on en doit même à ses ennemis ? Seulement envers les ennemis, c’est un devoir qu’on remplit avec de multiples précautions, tandis qu’envers des amis, on le remplit en toute sécurité.
L’amour fait tout ce qu’il peut pour être payé de retour, même par ceux à qui il rend le bien pour le mal. Nous n’aimons un ennemi que pour en faire un ami. […]
Il n’en est donc pas de l’amour comme de l’argent. Plus on dépense d’argent, plus il diminue ; mais plus on dépense d’amour, plus il augmente. Il y a encore cette différence : nous aimons d’autant plus ceux à qui nous donnons de l’argent, que nous avons moins la pensée de la leur redemander un jour ; tandis que dans les largesses de l’amitié, on exige autant qu’on donne. […]
C’est pourquoi, frère, je suis heureux de te rendre cette amitié que tu as pour moi. Ces sentiments que je reçois de toi, je te les redemande encore, et ce que je te rends, je te le dois toujours.
Écoutons donc l’unique Maître dont nous sommes tous disciples et qui nous dit par son Apôtre : « N’ayez de dettes envers personne sinon celle de l’amour mutuel » (Ro 13). […]