Chers Frères et Sœurs,
Au fil de la présentation des portraits des plus grands Docteurs et Pères de l’Église que je cherche à faire dans ces catéchèses, j’ai parlé la dernière fois de saint Grégoire de Nazianze, évêque au IVe siècle, et je voudrais encore aujourd’hui compléter ce portrait d’un grand Maître. Nous chercherons aujourd’hui à accueillir quelques-uns de ses enseignements. Réfléchissant sur la mission que Dieu lui avait confiée, saint Grégoire concluait : « J’ai été créé pour m’élever jusqu’à Dieu, à travers mes actions [1]. Et en effet, il mit au service de Dieu et de l’Église son talent d’écrivain et d’orateur. Il composa de multiples discours, plusieurs homélies et panégyriques, un grand nombre de lettres et d’œuvres poétiques (presque 18 000 vers !) : une activité véritablement prodigieuse. Il avait compris que là était la mission que Dieu lui avait confiée : « Serviteur de la Parole, j’adhère au ministère de la Parole ; que je ne consente jamais à oublier ce bienfait. Cette vocation, je l’apprécie et la chéris, en tirant davantage de joie que de toutes autres choses ensemble [2].
Grégoire de Nazianze était un homme doux et, au cours de sa vie, il chercha toujours à faire œuvre de paix dans l’Église, qui était alors déchirée de discordes et d’hérésies. Avec une audace évangélique, il s’efforça de surmonter sa timidité naturelle pour proclamer la vérité de la foi. Il ressentait profondément le désir de s’approcher de Dieu, de s’unir à lui. C’est ce qu’il exprime lui-même dans un de ses poèmes, quand il écrit :
« Sur les puissants flots de l’océan de la vie
soulevés de droite et de gauche par des vents impétueux…
une chose seule m’était chère, était ma seule richesse,
mon réconfort et l’oubli de mes peines :
la lumière de la Trinité Sainte » [3].
Être comme le Christ
Grégoire fit resplendir la lumière de la Trinité en défendant la foi proclamée au concile de Nicée : un seul Dieu en trois Personnes égales et distinctes, Père, Fils et Esprit Saint, « triple lumière, qui s’unit en une unique splendeur » [4].
Grégoire a profondément souligné la pleine humanité du Christ : pour racheter l’homme dans sa totalité, corps, âme et esprit, le Christ a assumé tous les éléments de la nature humaine, sans quoi l’homme n’aurait pas été sauvé. Contre l’hérésie d’Apollinaire qui soutenait que Jésus-Christ n’avait pas assumé une âme rationnelle, Grégoire affronta le problème à la lumière du mystère du salut : « Ce qui n’a pas été assumé n’a pas été guéri » [5], et si le Christ n’avait pas été « doté d’une intelligence rationnelle, comment aurait-il pu être homme ? » [6]. C’est précisément notre intelligence, notre raison, qui avait et qui a besoin de la relation, de la rencontre avec Dieu dans le Christ. Devenu homme, le Christ nous a donné la possibilité de devenir, à notre tour, comme lui. Grégoire nous exhorte : « Cherchons à être comme le Christ, puisque aussi bien le Christ est devenu comme nous : à devenir des dieux grâce à lui, du moment que lui-même, par nous, est devenu homme. Il a pris sur lui ce qui est le pire, pour nous faire don de ce qu’il y a de mieux » [7].
Marie, qui a donné la nature humaine au Christ, est la vraie Mère de Dieu [8], et en vue de sa si haute mission elle a été « pré-purifiée » [9]. Marie est proposée comme modèle aux chrétiens, spécialement aux vierges, et doit être invoquée comme auxiliatrice dans les nécessités [10].
Solidaires envers les autres
Grégoire nous rappelle que, en tant que personnes humaines, nous devons être solidaires les uns envers les autres. Il écrit : « “Nous sommes tous un seul corps dans le Seigneur” (cf. Ro 12, 52), riches et pauvres, esclaves et hommes libres, malades et bien-portants ; et la tête dont tout dépend est unique : Jésus-Christ. Comme le font les membres d’un corps unique, que chacun prenne soin de chacun, et tous de tous. » Puis, se référant aux malades et aux personnes en difficulté, il conclut : « Tel est le salut unique de notre chair et de notre âme : la charité à leur égard » [11]. Grégoire souligne que l’homme doit imiter la bonté et l’amour de Dieu, et il recommande donc : « Si tu es bien portant et riche, soulage le besoin de celui qui est malade et pauvre ; si tu n’es pas tombé, secours celui qui est tombé et vit dans la souffrance ; si tu es joyeux, console celui qui est triste ; si tu es heureux, aide celui qui est en proie au malheur. Donne à Dieu une preuve de reconnaissance car tu es de ceux qui peuvent faire du bien, et pas de ceux qui ont besoin d’en recevoir. […] Sois riche non seulement de biens, mais encore de pitié ; non seulement d’or mais aussi de vertu ou, mieux encore, seulement de cette dernière. Surpasse la renommée de ton prochain en te montrant meilleur que tous ; sois un dieu pour les malheureux en imitant la miséricorde de Dieu [12].
Grégoire nous enseigne en premier l’importance et la nécessité de la prière. Il affirme qu’« il est nécessaire de se souvenir de Dieu plus souvent que l’on ne respire » [13], parce que la prière est la rencontre de la soif de Dieu avec notre soif. Dieu a soif de notre soif de lui [14]. Dans la prière nous devons tourner notre cœur vers Dieu, pour nous confier à lui en offrande à purifier et à transformer. Dans la prière, nous voyons tout à la lumière du Christ, nous laissons tomber notre masque et nous nous immergeons dans la vérité et l’écoute de Dieu, en nourrissant le feu de l’amour.
En un poème qui est aussi une méditation sur le but de la vie et une invocation implicite à Dieu, Grégoire écrit :
« Tu as un devoir, ô mon âme,
un grand devoir, si tu le veux.
Examine-toi sérieusement,
ton être et ton destin ;
d’où tu viens et où tu devras te rendre ;
cherche à savoir si ce que tu vis est la vie
ou bien s’il y a quelque chose d’autre encore.
Tu as un devoir, ô mon âme,
et pour cela, purifie ta vie :
considère, je t’en prie,
Dieu et ses mystères,
recherche ce qu’il y avait avant cet univers
et ce qu’il est pour toi,
d’où il vient et quel sera son sort.
Voilà ton devoir,
ô mon âme,
et pour cela, purifie ta vie. » [15].
Le saint évêque demandait continuellement son aide au Christ pour se relever et reprendre la route :
« J’ai été déçu, ô mon Christ,
pour avoir trop présumé : des hauteurs je suis retombé au fond.
Mais relève-moi maintenant, parce que je vois bien
que je ne me suis égaré en moi seul ;
si à nouveau je me fie trop à moi,
je tomberai tout de suite, et la chute sera fatale » [16].
Ainsi, Grégoire ressentait le besoin de s’approcher de Dieu pour surmonter la faiblesse de son propre moi. Il a éprouvé l’élan de l’âme, la vivacité d’un esprit sensible, et l’instabilité du bonheur éphémère. Pour lui, dans le drame d’une vie sur laquelle pesait la conscience de sa faiblesse et de sa misère, l’expérience de l’amour de Dieu l’a toujours emporté. Tu as un devoir, ô mon âme, disons-nous comme saint Grégoire : ton devoir est de trouver la vraie lumière, de trouver la vraie grandeur de ta vie. Et ta vie est de rencontrer Dieu, qui a soif de notre soif.